Récemment, plusieurs personnes m’ont envoyé un lien vers une pétition lancée par Cécile Bour, radiologue, demandant l’« interdiction de l’utilisation du corps des femmes dans les campagnes de santé (en particulier le cancer du sein) ». L’auteur elle-même m’a contactée via mon blog pour m’informer du lancement de la pétition. Je soutiens la démarche de l’auteur et elle a toute ma sympathie pour son « coup de gueule », et pourtant, je n’ai pas signé la pétition. Quelques explications ne sont peut-être pas superflues. J’ai longuement, très longuement, hésité entre les deux options : signer ou ne pas signer. A vrai dire, j’étais sur le point d’apposer ma signature accompagnée du commentaire suivant :
En effet, le cancer du sein est « glamourisé » et il est courant de montrer des poitrines de top-models flirtant avec les vingt printemps pour promouvoir un programme de dépistage du cancer du sein débutant à 50 ans, mais il s’agit à mon sens davantage de miser sur l’effet de dramatisation qui a toujours constitué un excellent argument marketing : un cancer du sein chez une femme jeune et belle marque bien davantage les esprits. J’ose espérer que les hommes à la recherche de contenu porno n’en soient pas réduits à acheter Marie Claire. Concernant ce « déshabillage public », il ne sera jamais crédible, même si les people masculins s’y mettent. Et d’ailleurs, ils s’y sont mis : Michel Cymes a baissé son pantalon (en gardant son caleçon il est vrai dieu merci) pour promouvoir le dépistage du cancer de la prostate. Ce genre de campagne est tout aussi ridicule quel que soit le « sexe » du dépistage promu. D’autre part, je crois davantage à une éducation à l’esprit critique du public qu’à une interdiction. Ou alors, l’interdiction devrait porter sur l’usage des méthodes de marketing dans les campagnes de santé publique. Quant à la morale, elle est outrageusement récupérée par les campagnes de sensibilisation : le dépistage est vendu comme une mesure égalitaire, solidaire, féministe (incroyable mais vrai), un geste d’amour, de vie, etc., et ses promoteurs se parent de l’habit du juste. Dans ce sens, je ne sais s’il faut demander davantage de « moralisation », ou alors redéfinir de quoi on parle. La plupart des promoteurs du dépistage sont pétris de bonnes intentions et on sait où ces dernières mènent… Davantage de réflexion, oui, 100 % d’accord. En conséquence, je signe pour cet aspect-là de la pétition. Cependant cette focalisation sur l’exploitation du corps des femmes est réductrice. En règle générale, les techniques de persuasion en usage dans la publicité ne devraient tout simplement pas avoir leur place dans une campagne de santé publique. La désinformation des femmes est à mon sens bien davantage choquante que l’exploitation de leur corps qui est, malheureusement, aussi vieille que la pub elle-même. Ce qui est à l’œuvre lors des Octobres roses est bien plus grave que l’affichage de seins. L’arbre ne doit pas cacher la forêt.
Ce qui revenait, il faut l’avouer, à signer en exposant les arguments en vertu desquels j’aurais tout aussi bien pu ne pas signer. Je me suis ravisée, ayant trop l’impression de signer du bout des lèvres sans me reconnaître pleinement dans cette pétition. En d’autres termes, je souhaitais à la fois soutenir une radiologue portant un regard un tant soit peu critique sur les campagnes de sensibilisation (fait assez rare pour être salué) tout en émettant des réserves sur la demande formulée, avec cet arrière-goût de « le problème ne se résume pas à ça ». Nous manquions le point quelque part. Il y a un début à tout, certes, et il est parfois bon de parler d’un aspect du problème plutôt que de ne pas en parler du tout, mais je craignais trop que ce braquage de projecteur sur l’exploitation du corps des femmes ne détourne l’attention du fond du problème – l’impossibilité pour les femmes de prendre une décision en toute connaissance de cause-, un peu comme dans l’expérience du « gorille invisible » qui passe au beau milieu du jeu et que la moitié du public ne remarque pas, tant il est occupé à compter les passes de balle des joueurs en T-shirt blanc.
Oui, demandons que le problème de la désinformation des femmes lors des Octobres roses soit pris à bras le corps, mais peut-être pas au nom de la « morale », trop souvent citée pour des motifs pas très moraux justement, ni à coup d’interdictions. Morale et interdictions ont trop servi dans le camp des Goliath pour qu’elles n’inspirent pas méfiance. Parlons plutôt d’éthique, de réflexion, d’information et d’éducation à l’esprit critique.
Dans les circonstances actuelles, la pétition de Cécile Bour constitue une action d’apparence quelque peu naïve, primesautière et qui ne trouvera certainement pas d’écho significatif.
Au demeurant, bien que féministe au niveau du discours, il semble plutôt s’agir d’une démarche visant essentiellement à défendre une certaine image de la médecine, qui si l’on veut bien se placer dans un référentiel normatif d’origine hippocratique, est certes mise à mal par les dérives de communication du lobby rose.
L’insertion incontestable de l’érotisme, voire de la pornographie dans la propagande rose présente en effet l’inconvénient majeur de casser progressivement, dans l’inconscient collectif du public, le mythe de la neutralité du regard médical face à la nudité féminine. Mauvais point pour la promotion du dépistage. Erreur de stratégie, difficile voire impossible à redresser maintenant que la machine médiatique est lancée et tourne en roue libre…
La novlangue du DOCS, « Lingua Senocratiae Imperii », nous a pourtant bien été présenté dés le départ comme nécessitant une sorte de réformation des mœurs, « briser les tabous autour du sein, etc.. », de contrer un éventuel sentiment de pudeur féminine, « lever les freins psychosociologiques ou traditionnels, etc.… ». C’est bien ce à quoi s’emploie actuellement le lobby du dépistage en Afrique du Nord, où, pour y imposer sa marchandise, il vante la mammographie comme un progrès indispensable à l’émancipation de la femme musulmane.
Il est donc pour le moins pathétique de venir geindre à présent, en brandissant la morale, la décence ou la pudeur.
Manuela Wyler a également écrit sur cette pétition (avant moi d’ailleurs) et j’avoue être assez d’accord avec sa conclusion : « Je ne pense pas que l’interdiction d’images ou la mise en place de censure constituent une solution. L’information et la formation si. »
http://fuckmycancer.fr/2014/12/tartuffe-octobre-rose/