Le 4 octobre dernier a eu lieu la cérémonie de remise du prix du meilleur livre médical de l’année par la revue médicale Prescrire, prix suivi d’un débat dont le thème cette année était « Trop dépister nuit-il à la santé ? L’exemple du cancer du sein ». C’est à cette occasion que j’ai rencontré Martine Bronner. Elle m’a abordée : « Bonjour, Je suis une ex-patiente… » Rien, absolument rien dans mon expression ne change (je continue à sourire bêtement), et pourtant, à l’intérieur, au mot « patiente » – entendez survivante du cancer du sein -, c’est le branle-bas de combat. Les sirènes sont enclenchées, l’état d’urgence décrété, le gilet pare balle enfilé en un temps record, la fonction « vigilance » réglée au maximum : j’attends la suite et l’attaque qui ne saurait tarder. C’est devenu un réflexe pavlovien vu que ce qui suit, la plupart du temps, c’est la kalachnikov.
Mais en fait de kalachnikov, Martine Bronner sourit «… et je voulais vous dire merci ». Celle-là, je ne l’ai pas vu venir. J’ai bien cru que j’allais me liquéfier, là, sans pudeur, devant tout le monde, sur le carrelage de la salle de réunion de Prescrire. Il faut comprendre aussi : pas vraiment l’habitude. Une survivante a écrit un jour : « je serais bien contente le jour où ce sera votre tour… ». Que cette dame ne désespère pas : ça peut encore arriver. Je la préviendrais au cas où: si ça peut faire plaisir à quelqu’un après tout… Alors forcément, après ce genre d’amabilités, on est sur ses gardes, c’est humain. Tout ça pour dire que, devant Martine Bronner, je me suis sentie ridicule – pour ne pas dire autre chose – avec mon battle-dress et mon gilet pare-balle. Vite, je range tout cet attirail militaire dans mon dos le plus discrètement possible et je lui souris, franchement cette fois.
Et alors nous avons accompli quelque chose de très banal, mais qui pourtant paraît extraordinaire dans le climat d’exacerbation des passions qui prévaut dans la « lutte contre le cancer du sein » : nous avons échangé nos impressions de part et d’autre de l’annonce fatidique. Essayez, juste pour voir, en tant que non-encore-diagnostiquée, de faire part à une femme qui a traversé un cancer du sein de vos réflexions sur la place prépondérante des slogans au détriment de l’information véritable lors d’Octobre rose : il y a de grandes chances que vous vous entendiez répondre « Oui, mais toi, tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir un cancer du sein, tu ne peux pas comprendre. » Effectivement, je n’ai pas de cancer – du moins pas encore -, je m’en excuse bien platement. Mais que répondre à une telle objection? Faut-il que je me fasse inoculer des cellules cancéreuses à l’endroit approprié pour acquérir le droit de refuser que les campagnes de santé publique dédiées à un cancer qui nous menace toutes nous prennent pour des gourdes ? En règle générale, je n’ai jamais compris cette propension que nous avons dans notre société – qui se veut altruiste et prévoyante-, à ne découvrir l’existence d’un problème que le jour où ça nous tombe dessus.
De la sorte, d’un simple coup de « Tu ne peux pas comprendre », certaines survivantes mettent un terme brutal à toute tentative de dialogue. Très constructif. J’ignore si en restant murées ainsi dans nos ghettos respectifs les choses avanceront, mais ce qui est certain, c’est qu’il en est – les adhérents à la secte des « encatégoriseurs intéressés » pour ne pas les nommer – qui se frottent les mains.
Pour en revenir à Martine Bronner, nous avons accroché d’emblée, soudées par notre refus de rentrer dans le rôle qu’il aurait été politiquement correct de jouer – et avec le sourire SVP – compte tenu de nos statuts respectifs. En dépit d’une intense incitation au dépistage par mammographie, tant individuelle (de la part des gynécos) que collective (de la part des campagnes), j’avais refusé de m’y soumettre, n’étant pas follement convaincue de son efficacité non pas dans son aptitude à détecter des cancers (ça il le fait superbien), mais à sauver des vies. Et Martine Bronner, ayant traversé un cancer du sein, s’était refusée à prêter allégeance à Octobre rose, ce qui lui valut tout de go de se sentir considérée par nombre de ses consœurs comme une ingrate « crachant dans la soupe ». En d’autres termes, nous refusions le mot d’ordre « un statut = une pensée ». Nous souhaitions disposer – soyons folles – de toute la diversité des opinions possibles, d’une palette de couleurs infinies afin d’oublier un peu ce rose infantilisant, anesthésiant, omniprésent. Ce rose uni et unique comme la pensée qui va avec. Nous demandions, si ce n’était pas trop, le droit de nous poser des questions sans être étiquetées, au pire de criminelles, au mieux de gentiment dérangées.
Pourtant, se poser des questions n’a jamais tué personne. Les idées fausses, si.
Martine Bronner tient un blog (ici). Elle a d’autre part été invitée à s’exprimer en tant que patiente lors du VIe Congrès de la médecine générale en juin dernier à Nice. Un regard lucide de l’intérieur sur l’« après » et Octobre rose :
Ping : Une société du bluff | Expertise citoyenne
C’est effectivement difficile à accepter….en même temps, ce n’est pas un comportement à imputer directement à « octobre rose », c’est plus un problème de responsabilité et d’organisation au sens large.
En revanche, c’est le symptôme du mode de fonctionnement de notre société dont « octobre rose » est l’une des manifestations. Tout doit être pour tout le monde, normé, prévu, établi…
Et là où finalement devrait se manifester plus de considération pour tout un chacun, « l’appareil », « la machinerie » prend le pas et l’individu disparait…
C’est avec grand intérêt que je découvre ce blog!
Allez, je laisse un commentaire pour vous parler de la course « Ruban rose » organisée à Bordeaux dimanche 21 octobre. Je m’y suis inscrite comme participante en tant que prof. de mon collège. Je devais participer à la course de 5 km en handbike puisque je ne peux ni marcher ni courir.
Bien évidemment, les organisateurs ont été prévenus à l’avance de cette participation pour laquelle j’ai versé une cotisation d’ailleurs.
Le 19 octobre, petit coup de fil à l’amie et collègue qui organisait la participation de l’établissement à la course : pas de handbike admis pour des raisons de sécurité… Je me demande encore pourquoi?! La circuit prévu était pourtant large et sans embûche, départ différé organisé etc…
Inutile de vous dire que je ne m’y suis pas rendue, même pas pas pour soutenir mon équipe!
Ai-je le droit de me poser la question suivante : pourquoi ne pourrais-je pas participer à une course contre une cause qui semble noble, comme tout le monde? Ne suis-je pas une femme comme les autres? Ou peut être que je ne les représente pas comme il faudrait. D’ailleurs une femme handicapée attrape-t-elle le cancer du sein, hein?!
Vous l’aurez compris par mes mots… on dirait que je sors du politiquement correct!
:o)
Lu et partagé!
Merci Vincent !!!
Martine, c’est une copine de l’Assoc’ (dont je tais volontairement le nom) d’anciennes victimes du CS qui viennent soutenir celles qui viennent de découvrir qu’elles en ont un…
dans l’assoc, nous sommes au moins 2 à nous élever contre cette mascarade d' »octobre rose »… et à avoir lu ton livre ! Je dois dire que c’est assez décoiffant d’émettre un avis à contre courant de la pensée générale. Le moins qu’on puisse dire c’est que le sujet déclenche des propos passionnés ! Mais je ne désespère pas de voir s’ouvrir les esprits, j’ai même noté dans la conférence de presse d’octobre rose des propos un peu plus mesurés que d’habitude (reconnaissance de l’existence de surdiagnostic) qui s’approche petit à petit de ce à quoi toute femme peut aspirer : de l’INFORMATION et non de la pub !
Bon courage Rachel dans votre combat, l’horizon s’éclaircit….
Sylvaine
Merci Sylvaine !!! Et bravo à vous, les survivantes qui osez émettre un autre son de cloche au sein d’associations qui soutiennent à fond Octobre rose. C’est héroïque, ni plus ni moins ;-). La réflexion, les questions, et une certaine forme de lucidité sont encore considérées comme relevant de la pathologie mentale mais cela change très vite et je suis très optimiste – incorrigiblement optimiste – sur la suite des événements…
Prix « prescrire ».
Là contre le pilier du milieu. C’est elle.
Je crois bien que c’est Rachel Campergue. J’ai vu sa photo sur son livre, ou sur le net. Sais plus.
La conférence est finie. J’attends qu’ elle soit seule pour lui adresser la parole.
Bon, elle est toujours avec quelqu’un…j’y vais quand même :
-Bonjour madame, je me présente je suis une ex-patiente.
Un blanc, un trou, quasi un précipice. Elle me regarde sans bouger un cil, pétrifiée.
– je voulais vous dire merci. Merci pour votre livre…Je suppose que cela n’a pas toujours été simple pour vous !
J’ai compris tout de suite, à la voir là toute raide et immobile, elle craignait mes remarques hostiles d’ancienne opérée du sein.
– Merci, vous me dites merci. Je ne m’attendais pas à ça.
Oui. Je lui dis « merci ». Merci d’avoir habillé de mots ce que je ressentais depuis longtemps. Merci d’avoir su cristalliser en un livre ce qu’il est si long, si difficile d’expliquer. Merci d’avoir fait ce travail ingrat de mise à nu, d’exploration, d’investigation de mécanismes sociaux compliqués qui feront de moi une « patiente » dans l’objectif ultime de me faire devenir « cliente ». Elle a osé.