Le coup d’envoi d’Octobre rose est bel et bien donné. Dans le supplément du Journal of Medical Screening de septembre parait un article signé par un certain Euroscreen Working Group : « Summary of the evidence of breast cancer service screening outcomes in Europe and first estimate of the benefit and harm balance sheet« , qui conclut : « Les chances de sauver la vie d’une femme par un dépistage mammographique de qualité sont supérieures à celles de surdiagnostic […] Ces résultats doivent être communiqués aux femmes invitées en Europe. » De quoi faire revenir quelques couleurs aux joues des partisans du dépistage, bien pâlichonnes depuis l’étude de Philippe Autier de l’International Prevention Research Institute (iPRI) de Lyon parue dans le Journal du NCI en juillet dernier, qui elle avait conclu que « les statistiques de mortalité par cancer du sein en Suède confortent les études précédentes montrant un impact limité ou inexistant du dépistage sur la mortalité par cancer du sein[1] » (voir post du 20 juillet ici).
L’Euroscreen Working Group est composé d’une trentaine de membres. Parmi les quatre organisateurs, les initiés repèreront immédiatement Stephen Duffy, statisticien, professeur de dépistage du cancer « professor of cancer screening » (quoique cela signifie), au Wolfson Institute of Preventive Medicine de Londres. Très souvent co-auteur avec Laszlo Tabar – surnommé Mister Mammography- de publications allant dans le sens d’une efficacité du dépistage, Stephen Duffy fut toujours un grand détracteur des révisions d’études conduite par Peter Gøtzsche, de l’Institut Cochrane nordique. Il propose donc aujourd’hui sa propre révision publiée dans le Journal of Medical Screening… qui n’est autre que la revue de la Medical Screening Society de Londres : un peu comme si l’on demandait à la Société Française de Radiologie de réaliser une « étude indépendante » de la mammographie de dépistage. Autre coïncidence : en surfant sur les sites respectifs du Wolfson Institute of Preventive Medicine (qui emploi Duffy) et de la Medical Screening Society, on s’aperçoit que cette dernière est le rejeton du premier, et que tous deux sont logés à la même enseigne : au Charterhouse Square, à Londres. On reste ainsi en famille…
Passons au contenu. Dès le résumé en tête d’article, l’objectif est clairement affiché : « Faire un bilan de la balance bénéfices/risques de la mammographie de dépistage destiné à informer les décideurs de santé publique, les parties prenantes et les femmes invitées. » Noble ambition. Plus d’un s’y est cassé les dents, mais quelque chose dans le ton de l’affirmation nous dit que Stephen Duffy et ses collègues, eux, comptent bien y parvenir. Cependant, ne serait-ce pas aux candidates au dépistage elles-mêmes de faire ce bilan bénéfices/risques après avoir été correctement informées tant des uns que des autres ? Après tout, chaque femme possède ses propres valeurs. D’autre part, ce manque d’humilité des auteurs se retrouve dès le titre puisqu’ils affirment être les premiers, du moins dans une revue médicale, à dresser un bilan de la balance bénéfices/risques de la mammographie de dépistage. Il est vrai qu’en règle générale, les chercheurs ne s’aventurent pas à le faire à la place des femmes : c’est une responsabilité qui ne se prend pas – en principe- à la légère.
Dans l’introduction, les auteurs insistent : « Notre but a été d’aboutir à un consensus basé sur des preuves en ce qui concerne les estimations, et de promouvoir une communication exacte au sujet des principaux résultats du dépistage du cancer du sein auprès des parties prenantes, des porte-paroles, des femmes, et des autres parties intéressées. » Dans cette déclaration d’intention, nous voyons poindre une méthode souvent employée : lorsque les faits ne parlent pas d’eux-mêmes, il peut s’avérer utile de donner plus ou moins discrètement au public concerné une idée de ce qu’il doit croire. Le recours à ce procédé trahit un manque de confiance dans la valeur intrinsèque de ses arguments. Dans le cas présent, les auteurs souhaiteraient nous voir penser :
1/ qu’il s’agit d’un consensus basé sur la médecine fondée sur des preuves.
2/ que la communication qu’ils cherchent à promouvoir est exacte.
3/ que la littérature sur le sujet a été passée en revue de façon exhaustive
Les auteurs ne visent rien de moins que le consensus. Les mammography wars perdurent depuis des décennies, mais Sheriff Duffy va mettre tout le monde d’accord. Il se place ainsi en messie que tout le monde attendait. Et effectivement, certains doivent être en train de lui brûler un cierge tant ils sont persuadés que cet article va clore le débat. Avouez qu’à la veille d’octobre rose 2012, il tombe plutôt bien.
La méthode à présent : « A partir des études passées en revue, le bénéfice principal du dépistage, la réduction de la mortalité, a été comparée avec les principaux risques : le surdiagnostic et les faux- positifs. » Jusque là, rien de choquant. Ce qu’il faut rechercher à présent, c’est comment ont été estimées les données entrant dans la composition du rapport. En ce qui concerne la réduction de la mortalité, les auteurs déclarent : « Les estimations regroupées de la réduction de la mortalité par cancer du sein sont de 38 % pour les études de mortalité basées sur l’incidence et de 48 % pour les études de cas-témoin. » Après moult calculs et l’équation lumineuse :
17 X 0,74 + 13 X 0,51 = 19
, il nous est expliqué que la réduction totale de mortalité par cancer du sein chez les femmes de 50 à 79 ans varie de 23 à 30 %.
Je n’ai rien compris.
Tout de suite, le bon vieux reflexe pavlovien se met en branle : « Normal que tu n’aies rien compris, ma pauvre fille : tu n’es pas experte ! » Puis, timidement, la réaction saine pointe son nez : « Et si c’était le but ? Et si cet amoncellement de chiffres et de calculs alambiqués était justement destiné à en mettre plein la vue ? » Des tas de gens pensent encore que plus ça a l’air compliqué, plus ça fait scientifique, et donc que ça doit être vrai.
Concernant le risque majeur du dépistage, nous lisons : « Dans leur étude du surdiagnostic, les auteurs concluent que les estimations les plus plausibles du surdiagnostic (celles qui tiennent compte des ajustements des tendances d’incidence et du biais du devancement) vont de 1 à 10 %. » Nous reconnaissons aisément ces deux « extrêmes » : 1 % provient de l’étude de Seigneurin (voir commentaire non virtuel des résultats virtuels de cette étude ici). Quant aux 10 %, ils sont ce que les instances officielles ont été obligées d’admettre depuis qu’elles ont compris qu’il n’était plus possible de limiter aux pages des revues médicales l’existence du phénomène de surdiagnostic. Cependant, puisque l’équipe de Duffy laisse entendre qu’elle a pris les deux valeurs extrêmes existant sur le marché, pourquoi ne pas avoir pris en compte les résultats de l’étude conduite par Bernard Junod aboutissant à un surdiagnostic de 74 %[2] ? Sur quoi se basent donc les auteurs pour conclure que les études les plus « plausibles » sont celles qui confinent le surdiagnostic en dessous de 10 % ? Nous suivons la référence liée à cette déclaration et tombons sur une étude (Puliti et al) réalisée par… la même équipe, l’Euroscreen Working Group, où nous retrouvons en bonne place Stephen Duffy. L’étude de Puliti et al fait en outre partie du même supplément du Journal of Medical Screening de ce mois. Autrement dit, l’Euroscreen Working group nous dit que la seule estimation fiable du surdiagnostic est la sienne. Les auteurs s’auto-congratulent et jugent eux-mêmes leur travail remarquable. C’est un peu osé, mais du moins ne prend-on aucun risque d’être contredit. Ainsi, pour l’estimation du surdiagnostic rentrant dans la construction de sa feuille de bilan, l’équipe de Duffy va chercher des données qu’elle a elle-même façonnée : on n’est jamais si bien servi que par soi-même, tout le monde vous le dira.
Vient à présent le clou du spectacle: la pesée finale et triomphale des bénéfices et des risques, le travail noble, la présentation des plats sur la table après le laborieux travail en cuisine… Les auteurs de la revue calculent que pour 1000 femmes dépistées tous les deux ans, entre 7 et 9 vies seront sauvées par le dépistage. Du jamais vu. Curieux : pour la même quantité de femmes dépistées, l’institut Cochrane nordique, lui, trouve … une demi-vie sauvée (une vie sauvée pour 2000 dépistées[3]), soit entre 14 et 18 fois moins : une sacrée différence tout de même ! Les deux groupes de chercheurs n’ont pas du utiliser la même balance… à moins que l’instrument soit le même, mais que les poids placés sur les plateaux soient différents.
Sous la rubrique « Discussion », les auteurs déclarent : « Dans cet article, nous présentons un bilan basé sur des preuves publiées dans des revues soumises à relecture par des pairs, des programmes de dépistage européens. » Il semble que les auteurs s’érigent une fois de plus en juges de la qualité de leur article. Pourtant, ce n’est peut-être pas tout à fait à eux de conclure que leur bilan est basé sur des preuves. Ailleurs, c’est la pureté de leurs intentions que l’équipe de Duffy met en avant : « Notre intention est de garantir que les femmes soient pleinement conscientes tant du bénéfice principal que des risques de la mammographie lorsqu’elles prennent la décision de participer ou non au dépistage. » Les auteurs ne semblent pouvoir trouver le sommeil tant qu’ils ne seront pas certains que chaque femme n’est pas pleinement au fait tant des risques que des bénéfices de la mammographie. Que de sollicitude ! Tant d’insistance devient suspecte : on dit que ceux qui rassurent sans cesse sur leurs bonnes intentions ont de grandes chances d’avoir quelque chose à se reprocher… ou à cacher.
D’autre part, il y a dans cette « garantie » une certitude de détenir l’absolue vérité qui pourrait paraître présomptueuse. La plupart des chercheurs qui se sont penchés sur la mammographie et ont tenté d’éclairer ses zones d’ombre se sont contentés de demander pour les candidates au dépistage une information objective. Stephen Duffy et ses collaborateurs, eux, la garantissent, avec certificat d’authenticité et appellation d’origine contrôlée. Grâce à eux donc, les femmes seront sauvées des ténèbres dans lesquelles elles baignaient avant lui. Duffy va leur apporter la lumière, rien de moins. Pour rester plus terre à terre, nous pourrions rétorquer que tant qu’elles ne seront pas allées en cuisine voir comment est faite la sauce, elles ne sauront pas ce qu’on leur sert à manger.
Ce sont les cuisines qu’il faut éclairer, pas la table de réception.
Juste avant de conclure, les auteurs précisent les limites de leur étude, en se gardant toutefois de prononcer le terme, cela pourrait donner des idées : « Les taux d’incidence et de mortalité par cancer du sein ont changé avec le temps en Europe du fait de l’évolution de la place respective tenue par les facteurs de risque et les protocoles thérapeutiques. En conséquence, les estimations des vies sauves et des cas de surdiagnostic sont des approximations. Cependant, ils indiquent clairement que la balance bénéfice risque de la mammographie du dépistage est bien plus favorable que ce que suggèrent certaines publications récentes. » Les auteurs admettent donc l’influence des progrès du traitement (au crédit desquels l’étude d’Autier sur les trois paires de pays voisins attribue la réduction de la mortalité au détriment d’un effet quelconque du dépistage). En conséquence, avouent-ils, les estimations tant de la réduction de la mortalité que du surdiagnostic sont des approximations. Cela ne les empêche aucunement de conclure, qui plus est clairement. Comment des « approximations » peuvent permettre d’indiquer « clairement » reste un mystère. Ces « approximations » nous indiquent donc « clairement » que « la balance bénéfices/risques de la mammographie du dépistage est bien plus favorable que ce que suggèrent certaines publications récentes ». Ces méchantes publications sont :
– celle de Jorgensen, Zahl et Gøtzsche publiée dans le BMJ en mars 2010 concluant à l’inefficacité du programme de dépistage danois sur la réduction de la mortalité par cancer du sein[4].
– celle conduite par Pal Suhrke publiée dans le BMJ en juillet 2011 constatant que le dépistage du cancer du sein par mammographie était associé à une augmentation notable des taux de chirurgies pour cancer du sein[5].
– celle de Philippe Autier publiée dans le BMJ en aout 2010 sur les trente pays européens qui remarquait que c’était chez les femmes en dessous de 50 ans, donc non-invitées, qu’on avait pu observer la réduction de la mortalité la plus importante, et ce, y compris dans les pays où le dépistage dans cette tranche d’âge n’était pas commun[6].
– une deuxième étude menée par Philippe Autier publiée dans le BMJ en juillet 2011 sur les trois paires de pays européens qui concluait que le contraste entre le décalage dans le temps de la mise en place des programmes de dépistage et la similitude de la réduction de mortalité par cancer du sein ne plaidait pas en faveur d’un rôle direct du dépistage dans cette réduction[7].
Ces études récentes aux conclusions bien embarrassantes sont ainsi balayées d’un revers de manche avec une désinvolture époustouflante. C’est bien regrettable dans la mesure où le recoupement des données est indispensable à l’authenticité du débat. La question à se poser serait : comment Duffy fait-il pour obtenir de tels pourcentages de réduction de mortalité pour sa feuille de bilan alors que plusieurs études viennent de montrer que l’impact du dépistage sur la réduction de la mortalité est nul ou marginal et que ledit dépistage n’a pas été en mesure de réduire le nombre de cancers du sein à un stade avancé ? Or, quel que soit l’angle d’approche du problème, un dépistage qui ne parvient pas à réduire l’incidence des cancers à un stade avancé est un dépistage qui ne marche pas.
Il ne fait aucun doute que des experts dans le domaine monteront au créneau pour exposer la façon dont les données ont été triées, mais quelque chose dans le ton de l’étude est déjà suspect : on n’affirme pas avec tant d’insistance que ses données sont justes lorsqu’on est sûr de soi. Ce qui est peut-être en effet le plus gênant dans l’attitude de Stephen Duffy n’est pas qu’il aboutisse à des conclusions très favorables au maintien du dépistage – après tout cela fait partie du débat – mais plutôt la façon dont il s’érige en arbitre suprême et définitif, alors qu’un chercheur doté de la modestie scientifique qui sied à son statut aura plutôt tendance à demander que la voie qu’il vient de contribuer à explorer soit suivie par d’autres afin que ses résultats soient confirmés. Duffy, lui, fait tout : il défriche (first estimate) et conclut. C’est carré, sans nuances, et sans discussions. Tout parait si simple et facile avec lui. A voir son assurance, on en viendrait presque à se demander pourquoi il a fallu tant de temps pour régler cet épineux problème de savoir si le dépistage par mammographie était justifié ou pas.
A la décharge toutefois de l’auteur vedette de cette première estimation jamais réalisée de la balance bénéfices/risques de la mammographie de dépistage, il serait juste de la replacer dans son contexte. La rentrée s’annonçait plutôt sombre pour les partisans du dépistage. 2012 avait été une année particulièrement noire : elle avait débuté on ne peut plus mal avec une étude publiée dans Breast Cancer Research où son auteur, Joost Nederend, avec un recul de douze années de dépistage aux Pays-Bas, n’avait constaté aucun déclin de l’incidence des cancers du sein à un stade avancé. L’éditorial de Karsten Jorgensen dans la même revue se demandait quant à lui si le vent n’était pas en train de tourner pour la mammographie de dépistage. Et, en juillet dernier, l’étude de Philippe Autier que nous avons évoqué en début d’article concluait à un impact limité ou inexistant du dépistage sur la mortalité par cancer du sein. Octobre rose promettait d’être gris, très gris. Il fallait agir, et vite. Ainsi, Zorro-Duffy est arrivé, en se pressant tout de même un peu, octobre rose oblige, et sauva Doña Mammographie. Du moins le pensa-t-il. Car un enfant de dix ans pourrait comprendre qu’une fois décidé quels chiffres on allait placer de part et d’autre de la fraction, le résultat du rapport était acquis.
Chiffres parfaits, timing parfait, tout ça est quand même un peu gros, non ?
[1] P. Autier, A. Koechlin, M. Smans, L. Vatten, M. Bonio, « Mammography Screening and Breast Cancer Mortality in Sweden”, JNCI 2012, doi: 10.1093/jnci/djs272
[2] Junod B et al, “An Investigation of the Apparent Breast Cancer Epidemic in France: screening and incidence trends in Europe”, BMC Cancer 2011, 11:401 doi:10.1186/1471-2407-11-401
[3] « Brochure d’information sur le dépistage du cancer du sein par mammographie », téléchargeable sur http://www.formindep.org/La-brochure-d-information-de-la.html
[4] Jorgensen KJ, Zahl PH, Gøtzsche PC. “Breast cancer mortality in organized mammography screening in Denmark: Comparative study”. BMJ2010;340:c241
[5] Suhrke P, Mæhlen J, Schlichting E, Jørgensen KJ, Gøtzsche PC, Zahl PH. “Effect of mammography screening on surgical treatment for breast cancer in Norway: Comparative analysis of cancer registry data”. BMJ 2011;343:d4692
[6] Autier P, Boniol M, La Vecchia C, et al. « Disparities in breast cancer mortality trends between 30 European countries: Retrospective trend analysis of WHO mortality database” BMJ 2010;341:c3620
[7] Autier P, Boniol M, Gavin A, Vatten LJ. “Breast cancer mortality in neighbouring European countries with different levels of screening but similar access to treatment: Trend analysis of WHO mortality database”. BMJ 2011;343:d4411
« L’expert quotidien de beaucoup d’incertitudes » : quelle belle formule ! Notre besoin de certitudes est plus dangereux que le cancer lui-même.
Merci Thierry pour ce témoignage sans fards d’un « médecin généraliste de base » confronté quotidiennement à ses doutes et à ceux de ses patients, et qui préfère les regarder en face plutôt que de les balayer sous le tapis. Qui a dit déjà qu’il n’y avait que les « purement statisticiens qui n’ont jamais vu de malades » qui « continuent de s’opposer au dépistage » ? Avec le Dr Philippe Nicot qui s’exprime un peu plus haut, ça en fait déjà deux qui ne sont pas statisticiens…
Bravo Rachel pour ta franchise. « je n’ai rien compris », dis-tu. Alors je te rejoins: moi non plus! Moi qui suis aussi médecin généraliste de base, et qui vois l’expertise dite scientifique flirter dans autant d’incertitudes avec l’inconscience de pouvoir nuire à autrui ! Moi qui suis justement, de part ma spécialité, l’expert quotidien de beaucoup d’incertitudes, l’expert en soutien des patients égarés par leurs doutes ou simplement leurs symptômes, et donc l’expert quotidien des prises de décisions partagées mais parfois ordonnées ! Si je n’y comprends pas grande chose, ce n’est pas à cause de mon incompétence ou de ma mauvaise foi. Une science qui ne sait pas expliquer clairement, qui ne sait pas « vulgariser », c’est pour moi de la magie. Aussi, à la question d’Iris, » qui prendra le risque? » (de refuser de participer au dépistage organisé), je lui livre ma réponse toute simple: moi ! Non pas que je sois inconscient moi aussi ou frondeur, mais simplement parce que mes incertitudes valent largement celles de cette science-là.
Pour garantir la sécurité et donc empêcher la mort de milliers de gens, on vérifie très strictement l’acuité visuelle d’un aiguilleur du ciel ou d’un pilote de ligne. Pour garantir la sécurité des passagers, on demande à un organisme indépendant de vérifier le respect des procedures et l’état des appareils. On n’oblige pas, que je sache, les radiologues ou les anatomopathologistes à controler leur acuité visuelle. Et on laisse souvent le soin d’évaluer le depistage à ceux qui le pratiquent et qui en vivent, très peu à ceux ou celles qui risque de mourir de la maladie qu’on cherche à dépister et encore moins à ceux qui n’ont aucun intérêt à subir ou à profiter de ce dépistage. Prendre l’avion ou aller aux casinos n’est pas qu’un problème de risque, c’est d’abord un problème d’utilité.
Peut-on vivre sans avion ou sans casino? Oui. Peut-on vivre, autrement dit peut-0n rester en vie, sans dépistage organisé du cancer du sein? Oui aussi.
Et que cela ne m’empeche pas au besoin de prescrire une mammographie, une échographie, une IRM ou une biopsie dans le cadre d’un complément d’information à la consultation que je partage avec mes patientes.
Thierry Gourgues, médecin généraliste sans lien d’intérêts avec des fabriquants de produits de santé, que ce soit des mammographes à microdose, des machines à rayon, de pistolets à biopsie, des hormones ou de la vitamine D…
Le Formindep éclaire les cuisines :
http://www.formindep.org/Ne-pas-croire-aux-mirages-d-etudes.html
… Et un grand merci au Dr Philippe Nicot pour avoir eu le courage de suivre jusqu’au bout la piste pourtant inconfortable du doute. Chapeau bas, Monsieur le « médecin de base »…
Bonsoir,
« Qui prendra le risque ? la patiente ou le médecin ? » dites-vous. Vous mettez le doigt au coeur du problème humain. Tout le monde a la trouille et se refile la patate chaude.
Personnellement j’ai acquis la certitude que les femmes n’avaient plus le choix. Qu’elles choisissent de se faire dépister et elles rentrent dans le casino, avec la trouille qui va se répéter tous les deux ans jusqu’à ce qu’on leur trouve quelque chose, et là leurs vies basculeront. Elles n’auront à ce moment qu’un choix: se dire que le dépistage leur a sauvé la vie. Qu’elles refusent de faire la mammo, et nombreuses seront les pressions qui s’exerceront. La propagande est sans relâche: on veut le bien des femmes quoiqu’il arrive, par tous les moyens, jusqu’à ce que mammo s’en suive… Dans 80% des cas au moins!
Médecin généraliste de base, j’ai eu le doute il y a quelques années, je ne sais plus comment, et puis le doute s’en amplifié, j’ai fait des allers-retours dans mes pensées, pour ou contre, contre ou pour… Et puis il y a deux ans j’ai souhaité participer à la recommandation de la HAS sur la participation à la campagne de dépistage. Les données qui gênaient la campagne ne figuraient pas. Je m’en suis étonné et on m’a répondu que la controverse était hors-saisine… Les données scientifiques les plus dures parce qu’elles sont contrariantes étaient devenues de méchantes données dites de controverses. Pour éviter le débat scientifique, celui-cil fut déclaré hors-jeu. Pour être franc, j’ai obtenu qu’il y figure, mais quel combat. Mais un combat pourquoi au fait? Simplement pour qu’on arrête de nous considérer comme des prisonniers d’une campagne parce qu’on a décidé, il y a des années, qu’il fallait que 80% des femmes obéissent, et que sur cet indicateur on a mis en oeuvre un programme démesuré, et réalisé des dépenses hallucinantes. Et comme les décideurs n’ont plus le choix d’en sortir, ils nous ont refilé la patate. Comment sortir de la prison? Par le savoir, par les échanges.
Merci donc beaucoup à Rachel pour tout ce qu’elle fait, et l’humour qu’elle met dans ces articles traitant pourtant d’un sujet grave, et merci aussi à vous Iris pour ce témoignage de votre vécu auquel le médecin de base que je suis pense si souvent.
Philippe Nicot. Médecin généraliste, sans lien d’intérêt.
Lucidité courageuse, considérant votre vécu.
Merci.
Article courageux dans ce monde complètement idiot du dépistage systématique ou la clinique a tendance à disparaître, où le médecin ne touche plus sa patiente mais fait un diagnostic exclusivement à partir de résultats radiologiques.
Plus de prise de risque, juste la peur de passer à coté d’un cancer.
Et oui, doit on ou non se faire dépister systématiquement ?
Qui prendra le risque ? la patiente ou le médecin ? ←
Est ce utile de se battre, par étude interposée, pour ou contre ?
On tourne en rond. Et que font tous ces auteurs des femmes et de leur ressenti ?
Le dépistage m’a sauvé d’une « récidive » de cancer mais n’a pas sauvé mon sein droit.
Je hais ce genre d’étude.
Iris
Pardon Zorro !
J’aime beaucoup l’article, mais comparer Duffy à Zorro, c’est lui faire trop d’honneur, Zorro se bat pour la justice, lui, au moins, point….
Martin Winckler, fan de Zorro et auteur de « Le rire de Zorro »