Lorsque l’on nous faisait la leçon « faire une mammographie de dépistage tous les deux ans, c’est important », que nous entendions « dépisté tôt, un cancer guérit dans 9 cas sur 10 » (alors que le surdiagnostic invalide cette statistique) ou encore que le dépistage, il n’y avait vraiment aucune raison de ne pas y aller parce que c’était « simple » et surtout « gratuit », on se doutait bien que c’était de la pub. En d’autres termes, que lorsque l’on prétendait nous informer, il s’agissait avant tout de nous convaincre, mais là, c’est officiel, déclaré, affiché sans pudeur dans Le Monde de vendredi dernier. La preuve est là, miraculeusement servie sur un plateau : dans le cadre du dépistage du cancer du sein, « sensibilisation » est synonyme de « pub ».
Le Monde n’y est pour rien, il dégage d’ailleurs prudemment sa responsabilité : « la rédaction du quotidien Le Monde n’a pas participé à la rédaction de ce publi-rédactionnel », peut-on lire tout en bas de ces deux pleines pages de louanges dithyrambiques du dépistage du cancer du sein par mammographie (consultables ici et là). Avec ce publi-rédactionnel (pour les néophytes, « communiqué » ou « publi-rédactionnel » signifie « pub »), l’église de dépistologie avoue que les choses vont mal : la foi vacille, les fidèles se font rares. Le prêche classique ne suffit plus : aux grands maux les grands remèdes, même bassement matérialistes. Dieu pardonnera : c’est pour la bonne cause.
Si on y regarde d’un peu plus près, il est vrai qu’une campagne de santé publique, quelle qu’elle soit, au fond qu’est-ce sinon de la pub ? On incite les gens à faire quelque chose (pour leur bien suppose-t-on) mais du moins, dans ce cas, les formes sont respectées. Cependant, avec ce « communiqué » de deux pages dans un des quotidiens nationaux les plus lus (qui a payé et combien ?), le lobby du dépistage tombe le masque, littéralement, et franchi la ligne rouge, le Rubicond, tout ce qu’on veut.
Et quel aveu ! C’est tellement maladroit que l’on se sent embarrassé par procuration. Le message envoyé est un message de faiblesse : « Nous ne trouvons plus de journalistes dans la presse nationale assez coopératifs pour parler du dépistage du cancer du sein sans faire allusion au débat en cours. Si l’on veut que notre discours passe sans être contré, nous en sommes réduits à nous payer des pages de pub. » Les conditions qui ont entouré ce choix d’une pub officielle – panique ou autres – restent inconnues mais il n’est peut-être pas des plus judicieux, car du coup, il décrédibilise de fait les « arguments » présentés qui se révèlent dès lors pour ce qu’ils sont : de la propagande, de la promotion, de la pub. Et on ne discute pas une pub. On sait à quoi s’en tenir, c’est de la pub, c’est tout.
En conséquence, que l’INCa en soit encore à demander aux femmes de quand date leur dernière mammo alors que la tendance actuelle est plutôt à se demander si mammo il doit y avoir pour commencer, est tout à fait excusable puisqu’un des ces domaines d’intervention est de « contribuer à la mise en œuvre des politiques de dépistage ». D’autre part, l’impact des campagnes d’information auprès de la population fait partie des indicateurs inclus dans son contrat d’objectifs et de performance, et cet indicateur est calculé par la « part des personnes interrogées déclarant que la campagne les incite à se faire dépister[1]« . Il est donc compréhensible que l’INCa ait les yeux rivés sur les taux de participation plutôt que sur la réelle efficacité du dépistage. De même, que les laboratoires pharmaceutiques (Roche et Amgen y vont de leur bafouille dans ce communiqué) fassent de même, rien à dire : c’est aussi de bonne guerre. Ce sont des sociétés commerciales cotées en bourse avec des actionnaires à satisfaire. Mais de la part du Ministre des Affaires sociales et de la Santé, on s’attendait tout de même à un peu plus de réserve et de hauteur…Oui, parce que nous avons gardé le meilleur pour la fin : Marisol Touraine prête son nom et sa fonction à cette opération de publicité non déguisée.
Bad move, comme diraient les Anglo-Saxons. Mais que font donc les consultants en communication du ministère ? Jouer le rôle de femme sandwich pour l’INCa aussi ouvertement est maladroit, c’est le moins qu’on puisse dire, et les réactions ne se sont pas fait attendre. Ça blogue (ici), ça twitte : ça ne passe pas. Un ministre de la Santé est censé se placer en tant qu’arbitre, et non porter les couleurs d’une équipe.
Cela étant dit, il n’est peut-être pas justifié d’en faire tout un plat : il ne s’agit que de la confirmation de quelque chose dont nous nous doutions depuis qu’Octobre rose existe et il serait stupide de gâcher ces belles journées d’arrière-saison en accordant trop d’importance à un excès de zèle publicitaire. Nous mettrons donc cela sur le compte de mauvais conseillers parce qu’au fond, Marisol, on t’aime bien, et on veut y croire encore. Mais après le coup du « Sunshine act à la française » vidé de sa substance avec un seuil de déclaration des « petits cadeaux » de l’industrie relevé à 60 € – « un permis de corruption », juge Irène Frachon, et on ne peut guère lui donner tort – et à présent cette apparition dans une pub pour une procédure sujette à débat aux côtés des laboratoires pharmaceutiques Roche et Amgen, il faudrait songer à redresser la barre, sinon on va vraiment finir par se demander pour qui tu bosses.